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Prise d'acte et départ à la retraite du salarié/ Cass.Soc.15 mai 2013

Prise d'acte et départ à la retraite du salarié/ Cass.Soc.15 mai 2013

La jurisprudence des 10 dernières années a été marquée par l’essor d’une rupture du contrat de travail pour juste motif à l’initiative du salarié, appelée prise d’acte et présentant pour ce dernier, l’intérêt d’ouvrir la voie à une possible indemnisation. Par plusieurs arrêts du 25 juin 2003, la Cour de Cassation a jugé que « lorsque le salarié prend acte de la rupture en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit d'une démission dans le cas contraire » : Cass.Soc.25 juin 2003

Par l’arrêt du 15 mai 2013, la Cour de Cassation étend cette solution au départ à la retraite du salarié qu’elle requalifie en l’espèce de prise d’acte.

Dans cette affaire, un salarié a notifié à son employeur son départ à la retraite, par une lettre mentionnant des griefs envers ce dernier, notamment une modification unilatérale des taux de commissions.

Le salarié (demandeur en première instance) a assigné son employeur (défendeur en première instance) en vue d’obtenir  d’une part la requalification du départ à la retraite en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’autre part le paiement des indemnités de rupture et divers rappels de salaire sur commissions et autres frais relatifs à l’exécution du contrat de travail.

La décision rendue en première instance a fait l’objet d’un appel. La Cour d’Appel a accueilli la demande du salarié en considérant que le départ à la retraite devait s’analyser en une prise d’acte lorsqu’il est équivoque en raison de manquements graves reprochés à l’employeur (ce qui était le cas en l’espèce puisque le courrier par lequel le salarié a informé son employeur de sa volonté de partir à la retraite comportait des griefs relatifs à la modification unilatérale par l’employeur des taux de commissions appliqués).

L’employeur (demandeur au pourvoi) a alors formé un pourvoi en cassation en se fondant sur les articles L1237-9 et L1221-1 du Code du Travail et sur l’article 1134 du Code Civil , en considérant d’une part  « qu’il n’existe pas d’incompatibilité de principe » entre le départ à la retraite, « manifestation par un salarié de quitter l’entreprise pour bénéficier d’une pension vieille » et « l’existence d’un différend entre l’employeur et le salarié  » , que seuls des vices du consentement pouvaient remettre en cause le départ à la retraite ce qui n’était pas le cas en l’espèce, que le salarié «  avait clairement et sans équivoque exprimé, et ce même après avoir annoncé sa volonté de rompre le contrat de travail, la volonté de bénéficier des dispositions applicables au départ à la retraite malgré le différend qui pouvait l’opposer » à l’employeur, d’autre part qu’aucune modification unilatérale du contrat de travail n’avait eu lieu dès lors que l’employeur était en droit d’abandonner « la pratique de l’avance sur commissions ou de l’avance sur salaires dès lors que celle-ci n’est pas contractualisée », et enfin qu’il n’était pas établi que la réduction des avances sur commission ait  empêché le salarié d’exercer ses fonctions.

Il s’agissait pour la Cour de Cassation de s’interroger sur les questions suivantes :

-          Sous quelles conditions le départ à la retraite d’un salarié peut-il être requalifié en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ?

 

-          La réduction des taux de commissions s’analyse t-elle en une modification unilatérale par l’employeur du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié et dès lors justifiant en l’espèce la prise d’acte de ce dernier ?

La Cour de Cassation a rendu un arrêt de cassation partielle en considérant  d’une part « que le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu’à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’un départ volontaire à la retraite » et d’autre part « qu’ayant constaté que l’employeur avait appliqué des taux de commission inférieurs au taux convenu, sans justifier de l’accord du salarié sur cette modification, et qu’il avait réduit unilatéralement le montant des avances sur commissions jusqu’alors appliqué, dans des conditions qui étaient de nature à faire obstacle à l’exécution de la mission du salarié, la cour d’appel a pu en déduire que le départ à la retraite s’analysait en une prise d’ acte qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Par l’arrêt du 15 mai 2013, la Cour de Cassation admet pour la première fois la requalification d’un départ à la retraite en prise d’acte en précisant les conditions et les effets d’une telle requalification ,rendant ainsi une décision semblable à celle dégagée en matière de démission (I). Elle confirme par ailleurs la règle bien acquise en jurisprudence selon laquelle la modification unilatérale par l’employeur du contrat de travail et plus précisément d’une partie de la rémunération du salarié, constitue un manquement patronal justifiant la prise d’acte du salarié et produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (II).

I/ Les conditions de la requalification du départ à la retraite en prise d’acte : une solution semblable à celle dégagée en matière de démission

La Cour de Cassation retient une solution similaire à celle quelle avait déjà dégagée en matière de démission. Pour que le départ à la retraite du salarié soit requalifié en prise d’acte il faut que celui-ci soit équivoque tant au regard des manquements de l’employeur invoqué par le salarié (A) qu’au regard des circonstances antérieures et concomitantes au départ appréciées par le Juge (B).

A-     Un départ équivoque au regard des faits ou manquements de l’employeur reprochés par le salarié

Par l’arrêt du 15 mai 2013, la Cour de Cassation requalifie pour la première fois un départ à la retraite en prise d’acte en précisant les conditions nécessaires à une telle requalification.

Avant toute chose, elle rappelle que le départ à la retraite du salarié est « un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ».

Ainsi, dès lors que le départ est équivoque, il ne s’agit plus d’un départ à la retraite : c’est sans doute le point de départ du raisonnement de la Cour de Cassation qui en l’espèce, considérant que le départ du salarié était bien équivoque, à requalifié la rupture du contrat de travail.

La Cour de Cassation indique ensuite indirectement, que la prise d’acte peut être caractérisée indépendamment de tout vice du consentement et sans qu’il soit nécessaire que le salarié s’en prévaut, vice du consentement qui, au demeurant ne produira pas les mêmes effets que la prise d’acte ( « que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci (…) »).

Enfin et surtout, elle considère que le salarié doit remettre en cause son départ à la retraite en raison de « faits ou manquements imputables » à l’employeur et rend ainsi sur ce point, un arrêt parfaitement conforme à la jurisprudence antérieure.

En effet, depuis les arrêts de principe du 25 juin 2003, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est caractérisée lorsqu'un salarié rompt son contrat de travail en raison de faits ou de manquements qu'il reproche à son employeur, reproches qui doivent justifier la rupture. La Cour de Cassation a par ailleurs admis, à plusieurs reprises, la requalification d’une démission en prise d’acte lorsque la lettre envoyée par le salarié faisait état de faits imputables à l’employeur. (Cass.Soc.13 décembre 2006).

Par l’arrêt du 15 mai 2013, la Cour de Cassation rend ainsi une solution semblable à celle dégagée antérieurement en matière de démission .Pour distinguer le départ à la retraite de la prise d’acte, elle recherche donc l’origine de la rupture en se référant, sans aucun doute, aux termes du courrier rédigé par le salarié . En l’espèce, le salarié reprochait à l’employeur d’avoir modifié unilatéralement les taux de commission applicables.

Ainsi, elle a validé sur ce point le raisonnement de la Cour d’Appel qui, elle aussi s’était fondée sur les termes du courrier adressé par le salarié à l’employeur pour requalifier le départ à la retraite en prise d’acte.

Par la suite, la Cour de Cassation précise le rôle du Juge lequel doit, pour apprécier le bien-fondé de la prise d’acte, prendre en compte les circonstances de faits ayant entourée cette rupture.

B. Un départ équivoque au regard des circonstances antérieures ou contemporaines appréciées par le Juge

Par l’arrêt du 15 mai 2013, la Cour de Cassation indique que le départ du salarié doit être équivoque au regard des circonstances qui entourent la rupture et précise le rôle du Juge en la matière : ce dernier doit en effet prendre en considération les « circonstances antérieures ou contemporaines » au départ du salarié pour conclure ou non au caractère équivoque de celui-ci.

Encore une fois, cette solution s’inscrit en cohérence et en continuité avec la Jurisprudence antérieure qui , par plusieurs arrêts de la Cour de Cassation , avait déjà considéré que le salarié était tenu de justifier d’un différend l’opposant à l’employeur, antérieur ou contemporain à sa démission : Cass.Soc.19 décembre 2007 ;Cass.Soc.13 décembre 2006.

C’est bien ce raisonnement auquel se livre la Chambre Sociale dans l’arrêt du 15 mai 2003 en accentuant le rôle du Juge dans l’appréciation de ces circonstances. Elle indique que « le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ, qu’à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture (…). »

Sans doute, souhait elle rappeler le rôle déterminant du Juge en matière de prise d’acte qui, seul, appréciera le bien fondée ou non de celle-ci.

En définitive, la requalification du départ à la retraite en prise d’acte suppose que ce départ soit équivoque non seulement au regard des faits reprochés par le salarié à l’employeur, mais aussi au regard des circonstances antérieures ou concomitantes qui ont entouré le départ, circonstances appréciées par le Juge.

Cette solution n’est pas surprenante dès lors qu’elle avait déjà été rendue en matière de démission. Elle apparait en outre comme protectrice du salarié et finalement juste et morale puisqu’elle consiste à rechercher les véritables raisons du départ du salarié de l’entreprise. Lorsque le départ résulte de manquements de l’employeur, il apparait logique que la rupture soit requalifié puisqu’elle ne rentre plus dans la définition du départ à la retraite.

Après avoir rappelé les conditions de la requalification du départ à la retraite en prise d’acte, la Cour de Cassation considère qu’elle est bien justifiée en l’espèce et précise les effets d’une telle rupture.

 

II/ La modification unilatérale de la rémunération par l’employeur et l’impossibilité pour le salarié d’exécuter sa mission : une prise d’acte justifiée et produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse

Par l’arrêt du 15 mai 2013, la Cour de Cassation rappelle et confirme le principe selon lequel la modification unilatérale par l’employeur de la rémunération du salarié tout comme l’impossibilité pour ce dernier d’exécuter sa mission constituent des manquements de l’employeur justifiant la prise d’acte du salarié (A), prise d’acte qui produit dès lors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (B).

A. La réduction des taux de commission sans l’accord du salarié et l’impossibilité de ce dernier d’exécuter sa mission : des manquements justifiant la prise d’acte

 

Depuis l’arrêt Raquin du 8 octobre 1987, il est de jurisprudence constante que le salarié dispose d’un droit de refus de la modification de son contrat de travail qui ne peut intervenir sans le consentement exprès du salarié. En revanche, l’employeur peut imposer, dans le cadre de son pouvoir de direction, un changement des conditions de travail.

Or, la jurisprudence a eu l’occasion de juger à plusieurs reprises que la rémunération contractuelle du salarié constituait bien un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans l’accord du salarié (Cass.Soc.3 mars 1998 ; Cass.Soc.18 avril 2000), y compris de manière minime (Cass.Soc.19 mai 1998), quand bien même la modification serait faite dans un sens plus avantageux (Cass.Soc.28 janvier 1998).

Ainsi, la rémunération, plus que tout autre élément du contrat de travail, est un élément contractuel par nature dont la modification suppose l’accord du salarié.

En l’espèce, c’est bien de la modification de la rémunération du salarié dont il était question puisque ce dernier reprochait à son employeur d’avoir réduit le montant de ses avances sur commission.

Après avoir constaté que l’employeur avait bien procédé de manière unilatérale sans l’accord express du salarié, à une réduction des taux de commission qui lui été applicable, la Cour de Cassation a logiquement conclue au manquement de l’employeur à son obligation et a en conséquence estimé que la prise d’acte était bien fondée.

Cette solution n’est pas nouvelle et a déjà été dégagée au sujet d’un salarié VRP qui, pour les mêmes raisons, avait saisi le juge d’une demande de rappel de salaire sur commissions : Cass.Soc.26 octobre 2011   Dans cette affaire les juges avaient, comme en l’espèce,  constataient que le salarié n’avait pas donné son accord exprès à la réduction du taux de ses commissions et conclu en conséquence au manquement de l’employeur à ses obligations.

En toute hypothèse, par l’arrêt du 13 mai 2013, la Cour de Cassation fait preuve de rectitude juridique et s’inscrit en cohérence avec la jurisprudence antérieure.

Il convient par ailleurs de faire remarquer, que la modification unilatérale de la rémunération par l’employeur n’est pas le seul argument avancé par la Cour de Cassation. En effet, celle-ci mentionne également l’impossibilité pour le salarié d’exercer sa mission caractérisant un manquement de l’employeur et justifiant ainsi la prise d’acte du salarié.

Cette solution n’est pas surprenante dès lors que parmi les obligations générales qui lui incombent, l'employeur supporte deux obligations principales envers son représentant : lui permettre d'exécuter sa mission et payer sa rémunération.

En l’espèce, en réduisant unilatéralement les avances sur commissions, l’employeur a « fait obstacle à l’exécution de la mission du salarié », ce qui, selon elle, constitue un manquement justifiant la requalification du départ à la retraite en prise d’acte du salarié.

En définitif, la décision de la Cour contribue donc à déterminer la nature des fautes de l'employeur qui justifient la rupture du contrat.

La Cour de Cassation termine son raisonnement en indiquant les effets de la prise d’acte justifiée par les manquements de l’employeur à ses obligations.

 

B.Des manquements produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La prise d’acte de la rupture « produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’un départ volontaire à la retraite ».

Ainsi, la Chambre Sociale rend une solution similaire à celle qui avait déjà été dégagée en matière de démission. En effet, il est de jurisprudence constante que lorsque la prise d’acte est bien fondée c’est-à-dire lorsque le Juge estime que les griefs invoqués par le salarié sont suffisamment graves, la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. En revanche, lorsque le Juge considère que les faits invoqués par le salarié ne sont pas suffisamment graves, alors  la prise d’acte produit les effets d’une démission.

En l’espèce cette décision a été étendue au départ à la retraite requalifiée par la Cour de Cassation en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

C’est parce qu’elle a considéré que des manquements de l’employeurs étaient bien caractérisées qu’elle a estimé que la prise d’acte produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Bien qu’elle ne le dise pas expressément, il ressort que la modification de la rémunération sans l’accord du salarié ainsi que l’impossibilité pour le salarié d’exercer sa mission, sont des griefs suffisamment grave pour permettre à la prise d’acte de produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La solution se situe dans le sillage d'un précédent arrêt dans lequel était affirmé, s'agissant de la modification unilatérale de la rémunération, que celle-ci est, quoi qu'il arrive, suffisamment grave pour produire à la prise d'acte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass.Soc. 9 mai 2007; Cass.Soc.24 mars 2010; Cass.Soc. 5 mai 2010)

La solution est bien entendu très favorable au salarié qui va pouvoir bénéficier des conséquences indemnitaires de cette requalification de départ de la retraite en prise d’acte alors même qu’il est à l’initiative de la rupture du contrat de travail.

Ainsi, la Cour de Cassation franchi un pas de plus dans la détermination des griefs de l’employeur justifiant la prise d’acte en rendant un arrêt en parfaite adéquation avec le droit positif et le paysage jurisprudentiel  actuel.

 

Publié le 17/09/2013